Le Conseil constitutionnel doit déterminer dans les prochains jours si le texte controversé est conforme à la Constitution. Une décision attendue alors que plus de deux millions de personnes ont signé une pétition contre cette loi.

L'entrée du Conseil constitutionnel, le 20 mai 2025 à Paris. (HENRIQUE CAMPOS / HANS LUCAS)

La loi Duplomb est-elle conforme à la constitution française ? C’est la question épineuse à laquelle le Conseil constitutionnel doit répondre d’ici au 11 août – “a priori” le 7 août selon les Sages, cités par l’AFP – alors qu’une pétition pour annuler la loi a atteint deux millions de signatures sur le site de l’Assemblée nationale. Dans le même temps, les tribunes se multiplient pour appeler l’instance à censurer le texte.

Cette loi vise à assouplir les normes environnementales et sanitaires qui s’imposent aux agriculteurs, afin d’être plus compétitif face aux pays étrangers, notamment au sein de l’Union européenne. Parmi ses mesures phares(Nouvelle fenêtre), l’autorisation des “méga-bassines” ou encore la réintroduction sous conditions d’un pesticide controversé, l’acétamipride, interdit en France depuis 2018.

Très attendue par les détracteurs du texte, dont les députés de l’aile gauche, la décision des Sages est la dernière étape avant la promulgation de la loi. Franceinfo vous explique pourquoi cet avis est particulièrement scruté.

Parce qu’une pétition contre cette loi a dépassé les deux millions de signatures

Jamais une pétition n’avait été autant signée dans l’histoire de la Ve République. Le pallier des deux millions de signatures de soutien à un texte contre la loi Duplomb a été atteint lundi 28 juillet, signe d’une mobilisation populaire d’ampleur contre ce texte. Alors qu’un débat doit avoir lieu à l’Assemblée nationale en septembre, la pétition n’ouvre pas la voie à un nouveau vote sur la loi. Beaucoup d’espoirs sont ainsi entre les mains des Sages du Conseil.

“Le Conseil constitutionnel a souvent été au cœur de fortes mobilisations citoyennes, comme lors de la loi sur les retraites, par exemple”, rappelle Marine Fleury, juriste spécialiste en droit constitutionnel de l’environnement. “Mais même si ça peut jouer, ce n’est pas ça qui va déterminer ses décisions, parce que le Conseil doit toujours se fonder sur l’interprétation des textes de loi”, assure-t-elle.

Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ne croit pas non plus à une influence populaire sur l’aspect juridique de la décision des Sages. “Il pourrait y avoir cinq millions de pétitionnaires, ça ne changerait strictement rien d’un point de vue juridique. D’un point de vue politique, il me semble que le Conseil constitutionnel devra prendre en compte cette pétition dans les choix qu’ils feront. Le Conseil se prononce en droit et il est, en général, assez imperméable aux pressions politiques. Mais quand même, c’est un des paramètres de sa décision.”

Parce que les défenseurs de l’environnement dénoncent un recul juridique

Dans son article 2, la loi Duplomb réintroduit, sous certaines conditions, un pesticide banni en France depuis 2018, l’acétamipride. Au moment de son interdiction, la substance était jugée dangereuse pour l’environnement, et notamment pour les abeilles. De nombreuses études montrent, en effet, que le néonicotinoïde est bien assimilé à un “tueur d’abeilles”, insecte pollinisateur vital pour la reproduction des végétaux.

A ce titre, les opposants à la loi Duplomb espèrent que le Conseil constitutionnel décèlera une contradiction avec la Charte de l’environnement(Nouvelle fenêtre). Ce texte, qui recense les droits et les devoirs fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement, possède depuis 2005 une “valeur constitutionnelle et (…) protège les Français”, relève le sénateur écologiste Daniel Salmon, cité par l’AFP. La charte indique que “chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé”. Le Conseil doit aussi déterminer si des mesures de prévention face aux risques pour la biodiversité sont prévues dans la loi.

Certains juristes évoquent par ailleurs le principe de “non-régression du droit environnemental” pour justifier une éventuelle censure. Il stipule que l’Etat est tenu de faire progresser les lois qui protègent l’environnement. Dans le contexte de la loi Duplomb, il est invoqué pour dénoncer la réintroduction de pesticides, l’augmentation des seuils maximaux d’élevage porcins et de poulet ou l’autorisation de la construction de “méga-bassines”, sans devoir justifier leur utilité.

Pour le moment, le principe de “non-régression” n’est inscrit que dans le Code de l’environnement(Nouvelle fenêtre), qui, contrairement à la Charte de l’environnement, “n’a pas une valeur constitutionnelle”, rappelle Marine Fleury. En 2020, le Conseil avait déjà rendu une décision en faveur de la réintroduction exceptionnelle(Nouvelle fenêtre) de pesticides sur certains types de cultures et sur une durée déterminée. “Le Conseil constitutionnel n’avait cependant pas exclu de prendre en compte plus tard l’obligation faite à toute personne d’améliorer l’environnement, explique Marine Fleury. S’il choisit cette voie, ce serait un précédent et une protection pour le droit environnemental français.”

Parce que des médecins défendent le principe de précaution en matière de santé publique

Aucun consensus scientifique clair n’existe à ce jour sur les effets de l’acétamipride sur la santé humaine. L’Efsa, l’agence sanitaire qui a donné un avis favorable à l’utilisation du pesticide(Nouvelle fenêtre) dans l’Union européenne en mai 2024, avait tout de même estimé qu’il y avait des “incertitudes majeures” quant à la toxicité du produit sur le cerveau humain, et avait appelé mener des études “approfondies”.

Plus généralement, une étude de l’Inserm(Nouvelle fenêtre) de 2021 avait conclu à une “présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides” et la survenue de pathologies. Elle cite le “cancer de la prostate, la maladie de Parkinson, ou des troubles cognitifs”. En particulier sur les travailleurs, enfants, femmes enceintes et riverains exposés aux substances.

Face à ces résultats, l’Ordre des médecins a pris position, affirmant dans un communiqué publié mercredi que “le doute n’est pas raisonnable lorsqu’il s’agit de substances susceptibles d’exposer la population à des risques majeurs : troubles neuro-développementaux, cancers pédiatriques, maladies chroniques. Ces alertes ne peuvent être ignorées”.

Des scientifiques ont aussi exhorté le Conseil constitutionnel à respecter “le principe de précaution”, dans une tribune publiée mardi 29 juillet dans Le Monde(Nouvelle fenêtre). Une notion qui a, elle aussi, été instaurée par la Charte de l’environnement, dans son article 5. Celui-ci prévoit que “lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage”. Si le Conseil juge la loi Duplomb non conforme à cet article, la réintroduction de l’acétamipride pourrait ainsi être jugée inconstitutionnelle.

Parce qu’une partie de l’opposition déplore un “déni démocratique” lors de l’adoption du texte

Pour ses opposants, une censure de la loi Duplomb constituerait également une forme de revanche vis-à-vis du parcours législatif pris par le texte. La proposition de loi a, en effet, a été adoptée très vite à l’Assemblée nationale, à la suite d’une manœuvre de ses défenseurs, comme les députés Les Républicains. Ceux-ci avaient voté eux-mêmes une motion de rejet de leur propre texte, pour pouvoir négocier son contenu en commission mixte paritaire, sans analyser le texte et les amendements des oppositions. Un “examen parlementaire dévoyé” et un “déni démocratique”, selon les mots de Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée.

Les Sages pourraient-ils invoquer ce motif pour censurer la loi Duplomb ? Dans le passé, ils ont déjà jugé(Nouvelle fenêtre) que les motions de rejet, jugées “détournées” de leur esprit par les oppositions, n’étaient pas de leur ressort. Selon la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, interrogée par l’AFP, ils ont donc “peu de chances de censurer le texte. En revanche, ils peuvent demander des gages sur certains points précis de la loi”.

“Le recours porte sur l’usage de la motion de rejet préalable à l’Assemblée, une procédure déjà utilisée au Sénat pour contourner l’obstruction parlementaire, et le Conseil constitutionnel ne l’a jamais remise en cause, ajoute le constitutionnaliste Benjamin Morel dans Le Point(Nouvelle fenêtre). Le Conseil (…) ne juge pas l’opportunité politique des votes. Il contrôle la conformité de la procédure, il ne sonde pas les reins et les cœurs qui mènent au vote. Un contrôle d’opportunité sur le contenu des débats serait une rupture majeure de doctrine, et je n’y crois pas du tout.”